La femme de M. Seguin

 

Bon, assez parlé de cul, hein. Le cul, y a quand même pas que ça dans la vie ? Il y a aussi l'âme. Tenez, parlons-en de l'âme. Qu'est-ce que l'âme ? L'âme, c'est un complexe nébuleux, qui se situe ici, approximativement, au niveau du crâne, c'est-à-dire, exactement à un mètre du cul. Bon maintenant, y en a marre, cachez-moi ce cul. Mais qu'elle lui mette une culotte et qu'on n'en parle plus.

Une petite culotte.

Vous aimez le rayon lingerie des Galeries Lafayette ? Ah ! le geste léger d'une femme du monde frôlant d'un index sûr et carmin la soie lisse d'une petite culotte noire égarée dans une corbeille de slips blancs ! Aaah !

Ah ! l'étrange enfilade des cabines d'essayages devant lesquelles je passe en gémissant, dans un environnement sonore insupportable de bracelets cliquetants et de glissements de frou-frous, derrière ces rideaux grenat d'où surgissent parfois, par la magie rare d'un entrebâillement non voulu, des morceaux de chair inconnue qu'on voudrait soudain mordre, étreindre, pétrir, ou défoncer, alors qu'on est là comme un con pour acheter des trombones.

Je vous jure que c'est des jours comme ça où on se prendrait à douter de l'existence de Dieu. Dieu existe, c'est évident. Réfléchissez une petite seconde, au lieu de rire sottement. Enfin, si Dieu n'existe pas, à quoi ça sert que Ducros, y se décarcasse ?

Enfin, il nous reste Mme Seguin... Mme Seguin, pas la chèvre, la femme de M. Seguin.

A ce propos, depuis l'éclosion de mes sens à ce que j'appellerais la bestialité ordinaire, je situerais ça entre Dien Biên Phu et la démission de René Coty, vous voyez à peu prés ? En tout cas, depuis cette époque, trois grandes questions fondamentales m'ont toujours hanté.

La première est celle-ci : Quand je pense à Fernande, que dois-je faire ?

Deuxième question : Qu'y a-t-il chez Jean Daniel qui éteint d'emblée en moi toute velléité de lui proposer la botte ?

Et troisième question, j'y arrive : Que fait Mme Seguin pendant que son mari est dans sa chèvre ?

Je vous dirais tout de suite que j'ai posé en vain la première question aux trois plus grands politologues français contemporains, qui sont : mon coiffeur, Mme Soleil et Yves Montand... Eh bien ils s'y sont cassé les dents, sauf celui des trois qui a un râtelier, mais je ne cafterai pas.

J'ai trouvé tout seul la réponse à la seconde question : cet homme, Jean Daniel, au demeurant peu primesautier au-delà du raisonnable, eh bien, cet homme est de gauche. Et je me sens tout à fait incapable de l'aimer, du fait du peu d'estime que je porte à gauche. Ah ! mais là, je suis sincère, aussi loin que je remonte dans le catalogue de mes haines, la seule chose au monde que je haïsse autant que la gauche, c'est la droite.

Quant Mme Seguin, je suis allée lui poser la question moi-même, dans sa villa de vacances en Bretagne, Kermarius, à Baisons-la-Romaine. Eh bien, elle m'a répondu sans détour. Elle m'a dit : "Moi, monsieur, quand mon mari est dans sa chèvre, je me titillonne la figoulette, avé le pilon à écraser les fines herbes."

Ah ! mais ça, je l'ai toujours dit, la seule différence entre l'homme et la bête, c'est le bouquet garni.

Pierre Desproges - Textes de scène - Editions du Seuil 1988