Hiroshima, mon amour... Quel étrange cri

 

Hiroshima, mon amour...

Quel étrange cri, disait Marguerite Yourcenar, à propose de ce titre de Marguerite Duras. Oui, Duras, l'apologiste sénile des infanticides ruraux.

Duras qui n'a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé.

Quel étrange cri : Hiroshima, mon amour. Pourquoi pas Auschwitz, mon loulou ?

Cela dit, tout n'est pas mauvais dans le nucléaire. C'est une source d'énergie. Sans énergie on pourrait plus s'éclater.

Sans pile, on perd la face.

A propos de pile, permettez-moi de vous raconter une histoire totalement authentique dont je fus naguère le triste héros.

J'insiste sur le fait qu'elle est authentique car c'est à peu prés son seul intérêt.

Je veux dire qu'il s'agit là d'une anecdote relativement ennuyeuse, dont on pourrait à l'extrème rigueur tirer une morale dont l'utilité ne m'apparaît cependant pas évidente.

Mon histoire remonte à l'automne dernier, mais elle aurait fort bien pu se passer pendant une autre saison. Cela n'a aucune espèce d'importance.

J'étais en train de me raser, moi aussi, quand soudain... (je dis "soudain" mais c'est une clause de style destinée à éveiller votre intérêt de façon à peine honnête dans la mesure où c'est en vain qu'on pourrait tenter de déceler la moindre soudaineté dans l'action qui va suivre) quand, soudain, je me suis dit :"Tiens, j'écouterais bien la radio."

Or les piles de mon transistor étaient mortes. (Pour les amateurs de polars, je précise que c'est tout ce que j'ai à leur offrir comme cadavre.)

Ne faisant ni une, ni deux, ni trois, ni rien du tout, je me rends chez l'épicier dont l'échoppe jouxte mon logis.

L'épicier dit :

"Bonjour ! Y va bien ? Qu'est-ce qu'y lui fallait ?

- Je voudrais deux piles?

- Ah ! y'a plus de piles. Y veut pas de belles bananes ?"

Y dit que non, y dit qu'y veut pas de belles bananes. Y dit qu'y veut deux piles.

"Mais, mais, bonsangmaicébiensur-je, il me reste le grand magasin d'à côté."

Hop, j'y cours. Hop je me précipite au rayon des accessoires électriques. Je me saisis d'un lot sous film plastique de quatre piles et je me dirige vers la caisse d'un pas complètement quelconque. Je tends les quatre inséparables éléments de batterie et dis à la vendeuse subexistante qui trônait tristement là, sur un tabouret de style fin René Coty, début Charles de Gaulle :

"Mademoiselle, je voudrais deux piles.

- Ah ! Mais vous voyez bien vendu par quatre ! glapit-elle au sortir d'un soupir agacé. Ca nous fait 22 francs."

Or, figurez-vous que je me targue d'être un consommateur jaloux de ses droits. Et averti. A telle enseigne qu'au moment d'acheter Cinquante Millions de consommateurs ou Que choisir ? je les fais peser l'un et l'autre par mon libraire avant de me décider pour celui qui présente le meilleur rapport qualité-prix.

Et donc, avec un regain de nonchalance sadique destiné à faire sortir la léthargique en blouse de ses gonds encrassés, je dépose 11 francs sur sa caisse et je réitère ma requête.

"Mademoiselle, je voudrais deux piles.

-Ah ! vous m'embêtez à la fin ! J'ai pas de temps à perdre, mentit-elle effrontément. Je vous répète que ces piles sont vendues par quatre. C'est 22 francs.

- Je vous demande pardon mademoiselle. Je connais mes droits. Aucun règlement en France ne m'oblige à acheter quatre piles quand je n'en veux que deux.

- Bon, j'appelle mon chef. Monsieur Raymond !" hurla-t-elle en ameutant tout le magasin dans un branlement frénétique de sa haineuse clochette à vaches.

Je jubilais intérieurement, d'autant que les clients alentour, dont certains m'avaient reconnu alors que mon père toujours pas, encerclaient maintenant les lieux du trouble.

M. Raymond, petit chef de tweed à gourmette de cadre, arriva bien vite et dit :

"Eh bien, que se passe-t-il, mais c'est M. Michel Leeb, eh bien, que se passe-t-il ?"

Prenant alors à témoin la foule attentive, je récitai fermement la loi qui était de mon côté en fustigeant l'attitude bornée de la méchante qui ne l'était pas.

M. Raymond avait oublié d'être con. Sachant que j'avais parfaitement raison et que les gens sont toujours du côté de guignol, il préleva deux piles du paquet de quatre, et me les tendit solennellement en échange de mes 11 francs.

Puis il s'en fut, magistral et serein, comme un petit Salomon de Prisunic.

Quant à moi, je quittai le magasin sous les ovations délirantes des ménagères après avoir généreusement pardonné à la caissière repentante.

Rentré chez moi, j'ouvris la petite trappe à l'arrière de mon poste à transistors pour y mettre les deux piles.

Il en fallait quatre.

 

(Noir)

Pierre Desproges - Textes de scène - Editions du Seuil 1988